Or Noir, ton univers impitoyable
par Eliane Jacquot
jeudi 30 avril 2020
L'effondrement récent du prix de l'or noir, première source d'énergie utilisée dans le monde, l'UE et la France représente un danger pour nos économies. Le Prix du brut Brent est d'environ 21$/b en cette fin du mois d'Avril, en baisse de plus de 66% depuis le début de l'année.
Bien que la surabondance de l'offre soit conjoncturelle et liée à l’épidémie du COVID -19, nous sommes contraints de nous interroger sur le devenir à court terme des pays émergents pour lesquels l'extraction et l'exportation des hydrocarbures ont un poids élevé. Qu'en sera-t-il d'autre part de la baisse des investissements et des emplois des sociétés du secteur pétrolier et parapétrolier et de l'avenir du secteur ?
Les Pays émergents producteurs en danger
Certains d'entre eux ont été violemment affectés par le recul du commerce mondial et la baisse du prix des matières premiers et on observe une forte dépréciation de leurs devises par rapport au $.
L'Amérique Latine
Ce sous continent est entré en ébullition depuis peu, avec un ensemble de revendications sociales et politiques dont on ne connait pas encore les conséquences sur les équilibres géostratégiques mondiaux.
Au Brésil le Groupe Pétrobras, plus grande entreprise latino américaine, joyau national, est à la pointe en matière d’exploitation de gisements « deep offshore ». Détenue à 50,2% par l'Etat, il est menacé de privatisation à brève échéance dans un pays où l'on observe une croissance du PIB atone, une monnaie en chute libre, et un chômage structurellement élevé.
Le Venezuela qui détient les plus grandes réserves de brut au monde voit sa production baisser faute d'entretien des installations existantes et de réalisation de nouveaux investissements, alors que le pétrole représente en 2019 80%des revenus du pays. Le climat hyper inflationniste (9000% en 2019) et une monnaie en chute libre qui renchérit le prix des importations a rendu la demande intérieure atone.
Menaces d’effondrement de certains Etats du continent Africain
Nul n’est censé ignorer que l’Afrique est confrontée à une explosion démographique, de grandes inégalités de revenus, sur fond d’appareils d’Etat corrompus. Le continent, qui regroupe deux milliards d’habitants subit de plein fouet le dévissage du prix du baril de pétrole. L’Afrique sera très vulnérable aux politiques menées par les pays riches tant qu’elle exportera ses matières premières aux cours volatiles en attendant de recevoir en retour des ressources financières aléatoires Dans ce contexte, trois pays, l’Algérie, l’Angola et le Nigéria sont fortement dépendants de la production d’hydrocarbures( liste non exhaustive ) :
Avec une économie rentière fondée sur le pétrole qui représente 95% des exportations et plus de 60% des recettes fiscales, la marge de manœuvre de l’Etat Algérien est limitée dans un pays où la situation économique se dégrade inexorablement. Pour équilibrer son budget, le pays aurait besoin d’un baril à 116 $, au niveau de production actuel. A cela se juxtapose une crise politique et sociale aiguë.
En Afrique Australe, l’Angola, deuxième producteur de pétrole du continent, qui représente 40% de son PIB, peine toujours à se relever de la chute des cours de l’or noir entamée à l’été 2014. Bien que puissance politique et militaire régionale, on y observe une grande corruption au niveau des élus et des milieux d’affaires.
En Afrique de l’Ouest le Nigéria, première puissance et pays le plus peuplé d’Afrique peine à diversifier une économie très dépendante aux revenus pétroliers qui représentent 90% des exportations et les deux tiers des recettes fiscales. Tout en abritant plus de personnes vivant dans l’extrême pauvreté qu’aucune autre nation, une grande criminalité organisée menace le cœur de son système.
Dans le même temps, la « ruée vers l'Afrique » pour y trouver des marchés et y contrôler les abondantes ressources naturelles est de plus en plus d’actualité. On y retrouve la France, ancienne puissance coloniale, la Russie, la Chine, le Japon, les pays du Golfe persique. Leurs dirigeants sont-ils conscients que la guerre des prix du pétrole déclenchée par l’Arabie Saoudite lors du week end du 7 mars dernier aura des répercutions dramatiques et non quantifiables sur les pays producteurs, tant qu’elle perdurera ?
N'oublions pas non plus la dette des pays émergents. Au regard des montants à rembourser, il sera nécéssaire de procéder à des rééchelonnements, voire à un moratoire sur leurs dettes, coordonné par le FMI visant à éviter une vague de défauts souverains. ( 1)
Quid des investissements, des emplois et de l'avenir du secteur parapétrolier
Les Etats-Unis sont le premier extracteur mondial de gas de schiste. La crise actuelle devrait avoir un impact très négatif sur l'ensemble de la filière qui n'a globalement jamais été rentable et a déjà été contrainte à réduire ses investissements en 2019, alors que l'AIE indique qu'il faudrait pour cette dernière doubler sa production pour équilibrer le marché à moyen terme. Qu'en sera-t-il au cours de cette année ? Schlumberger, la plus grande compagnie de services pétroliers au monde a du procéder à des licenciements massifs en 2019 et accuse une perte nette très importante au premier trimestre de cette année. D'après une dépêche AFP, le Groupe Texan Diamond Offshore vient de déposer son bilan, sous la pression de la guerre des prix initiée par les Etats-Unis, la Russie et l'Arabie Saoudite.
Au niveau mondial, une enquête Rystad estime qu'un million d'emplois pourraient être détruits dans le monde, soit 20% du total. En France les effectifs de la filière ont baissé de près de 20% par rapport à l'année 2014, là où 80% de la demande d'ingénierie concerne des projets de l'amont du secteur pétrolier ( Exploration-Production). En aval (Raffinage-Distribution) la situation pour les raffineurs se complique selon des estimations de l'AIE, le prix de l'essence restant pratiquement stable. En Europe, leur taux d'utilisation devrait tomber à 50% de leurs capacités de production. (Source : IFPEN)
Enfin, d'autres remous sont à craindre pour les cours de l'or noir de par les comportements spéculatifs à la baisse des opérateurs sur les marchés financiers. N'oublions pas que les compagnies sont détenues en partie par des fonds spéculatifs et des investisseurs désirant s'alléger de leurs positions sur le secteur pétrolier. Ceci pourrait conduire à un effet domino conduisant à un effondrement possible des bourses mondiales alors que des prix à moins de 30 $/b devraient rester la norme à court terme tant que le marché ne sera pas rééquilibré par une action massive des pays producteurs.